Jytte Guteland : une des 5 eurodéputés expulsés du Sahara Occidental
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"Je pense que cet incident devrait alerter chacun sur les négociations commerciales UE-Maroc sur les produits du Sahara Occidental : elles ne sont pas du tout transparentes", explique Jytte Guteland, eurodéputée socialiste de Suède.
Publié 02 novembre 2017


Vendredi 27 octobre 2017, cinq membres du Parlement européen se sont vu refuser l'entrée à El Aaiun, au Sahara Occidental par les autorités marocaines. Les députés n'ont pas reçu l'autorisation de quitter l'avion et ont été rapatriés en Europe.

Cyniquement, le Parlement européen avait la veille approuvé l'accord aérien UE-Maroc - qui couvre le territoire du Sahara Occidental.

Les cinq eurodéputés expulsés sont membres de l'intergroupe du Parlement Européen pour le Sahara Occidental. Le programme de leur visite comprenait des réunions avec des représentants de la société civile à El Aaiun, afin d'évaluer la situation sur le terrain et l'influence de l'UE sur la dynamique du conflit.

La Commission européenne est actuellement engagée dans des négociations avec le Maroc afin de modifier les protocoles agricoles de l'accord d'association UE-Maroc. Les pourparlers ont été déclenchés par l'arrêt de la Cour de justice de l'UE du 21 décembre 2016, stipulant que le Sahara Occidental et le Maroc sont deux territoires séparés et distincts et qu'aucun accord avec le Maroc ne peut être appliqué au Sahara Occidental sans le consentement du peuple du territoire.

Les députés qui n'ont pu entrer au Sahara Occidental sont : Mme Jytte Guteland (Suède, S & D), M. Bodil Valero (Suède, Vert/EFA), Mme Paloma López Bermejo (Espagne, GUE/NGL), Mme Lídia Senra (Espagne, GUE/NGL) ) et M. Josu Juaristi (Espagne, GUE/NGL).

WSRW a eu l'opportunité exclusive d'interviewer Jytte Guteland, la présidente de l'intergroupe du Parlement européen du Sahara Occidental.

WSRW : Pourriez-vous nous dire ce qu'il s'est passé ? Étiez-vous encore dans l'avion lorsque les autorités marocaines sont venues ?
L'eurodéputée Guteland : Quand nous avons atterri à El Aaiun, quelqu'un est entré dans l'avion avec la liste des passagers et a pointé quelques noms. Certaines personnes ont été autorisées à débarquer, puis d'autres sont parties et à la fin, nous étions les seules personnes restantes dans l'avion : 5 eurodéputés et 1 personne de notre équipe.
Les autorités nous ont dit que "nous n'étions pas les bienvenus pour quitter l'avion". Les autorités marocaines ne veulent pas de politiciens, de journalistes… au Sahara Occidental. Nous avons eu de nouvelles cartes d'embarquement et nous sommes partis. J'ai pensé que leur comportement était très impoli et quelque peu embarrassant.
Je pense qu'il est très naturel pour nous, en tant que députés, de visiter le Sahara Occidental, puisque nous prendrons position sur l'amendement visant à inclure le Sahara Occidental dans l'accord d'association UE-Maroc et sur les négociations en cours entre les deux parties.
Nous avions besoin d'informations et c'est très étrange que nous n'ayons pas pu quitter l'avion. Nous y sommes allés pour en savoir plus sur les organisations, la société civile, etc. Nous avons besoin d'informations si nous voulons voter sur l'amendement proposé à l'Accord !
J'ai invité les autorités marocaines à Bruxelles à partager leurs points de vue. Et maintenant, je pense qu'il est temps de rencontrer le peuple sahraoui. Il est important que les autorités européennes comprennent ce que les Sahraouis pensent, également parce qu'il n'y a pas assez d'informations et de données sur cette proposition de modification de l'accord, ses effets et le volume des échanges concernés.

WSRW : Pourquoi pensez-vous que les autorités marocaines ont refusé de vous laisser entrer ?
L'eurodéputée Guteland : Je me pose le même question. Si vous n'avez rien à cacher, pourquoi n'autorisez-vous pas les députés à entrer ? Il devrait être dans leur intérêt de nous laisser entrer et d'être plus polis avec nous. Ils ne sont pas là dans leur droit, ce n'est pas un territoire marocain. Nous sommes allés là-bas pour trouver des informations et nous avons été rejetés.

WSRW : Avez-vous contacté la délégation de l'UE au Maroc ? Si oui, quelle a été leur réaction ?

L'eurodéputée Guteland : Non, je ne l'ai pas fait. Nous avons quitté le pays en avion immédiatement après l'incident. Je vais inviter l'ambassadeur du Maroc au Parlement européen et lui demander une explication. Je demanderai à l'ambassadeur de venir à mon bureau et de m'expliquer pourquoi ils ne nous ont pas laissé entrer. Ce que j'ai trouvé très bizarre et irrespectueux.

WSRW : Pensez-vous que cet incident affectera les négociations en cours, ou non ?
L'eurodéputée Guteland : Je pense que cet incident devrait alerter chacun sur les négociations commerciales UE-Maroc sur les produits du Sahara Occidental. Elles ne sont pas du tout transparentes. Je pense que ce qui s'est passé le week-end dernier nous aidera à nous rendre tous conscients que ces négociations ne sont pas ouvertes. Nous devons nous conformer à la décision de la CJUE du 21.12.2016, il est nécessaire de respecter la législation de l'UE.

WSRW : Comment l'intergroupe du Sahara Occidental procédera-t-il après votre expulsion ?
L'eurodéputée Guteland : Nous allons faire de notre mieux pour sensibiliser davantage le Parlement. Le Parlement doit disposer de toutes les informations relatives à l'accord afin de respecter la décision de la CJUE.

WSRW : Quelle a été la réaction de votre groupe politique, les socialistes et les démocrates, à votre expulsion ? En particulier compte tenu du rôle pertinent du groupe S & D et de son attention à cette question - rappelons la déclaration publiée sur le site Web de S & D au lendemain de la décision de la CJUE.
L'eurodéputée Guteland : Aucune réaction pour le moment. Nous avons informé Pittella (président S & D, ndlr) du voyage et je soumettrai un rapport au groupe. Jusqu'à présent, aucune réaction, mais certains collègues m'ont appelé pour me manifester leur soutien. C'est une honte que nous n'ayons pas été autorisés à entrer dans le pays. Je suis sûr qu'il y aura un suivi de l'incident, à la fois au Parlement européen et dans le groupe S & D.

WSRW : Selon nos sources, certains eurodéputés du groupe de suivi de la commission commerce du PE sur le commerce avec le Maroc/Sahara Occidental aimeraient faire une mission d'enquête au Sahara Occidental, mais d'autres les empêchent de le faire, notamment pour éviter ce que vous venez d'expérimenter. Pensez-vous que le Maroc va refuser l'entrée aux députés du comité commerce ?
L'eurodéputée Guteland : Je ne sais pas si les autorités marocaines souhaiteraient la bienvenue aux députés européens du groupe de suivi du Comité commerce. Nous tous au Parlement devons en savoir plus sur ce commerce. Je pense qu'il n'est pas logique d'accueillir certains députés et d'en rejeter d'autres. Ils devraient les accueillir (Comité du commerce) comme ils devraient nous souhaiter la bienvenue.

WSRW : Pensez-vous que l'UE a peur de décevoir le Maroc ? Nous sommes tous conscients du rôle majeur joué par le royaume en termes de contre-terrorisme, d'anti-migration, de stabilité dans la région du Maghreb, etc. Néanmoins, ce qui vient de se passer est surprenant : comment l'UE peut-elle supporter que ses eurodéputés soient arrêtés par les autorités d'un pays ami ?

L'eurodéputée Guteland : Mon point de vue est que l'UE doit respecter la décision de la cour. Si elle ne le fait pas, je me demande pourquoi. Je veux croire que l'UE va respecter la décision et je dois faire pression pour que cela se produise. Je pense que ce serait un échec pour l'UE de ne pas agir conformément à ce que la Cour a édicté, mais je m'attends néanmoins à ce que l'UE se conforme à la décision de la CJUE.

WSRW : La décision de la CJUE fait référence à la nécessité de rechercher le consentement du « peuple » du Sahara occidental, à savoir les Sahraouis et non celui de la « population (locale) », qui comprend un nombre beaucoup plus important de colons marocains. Cependant, selon certaines rumeurs, la Commission chercherait le consentement de la population locale, pas du peuple. Si tel est bien le cas, quelle sera la réponse de l'Intergroupe Sahara Occidental ?

L'eurodéputée Guteland : L'intergroupe sait que la Commission tente de contourner la décision. Pour de nombreux membres du Parlement européen, il est essentiel que les représentants de la société civile soient représentés dans les négociations. Il n'est pas acceptable pour moi que la Commission négocie actuellement avec le Maroc uniquement. Nous avons été très clairs sur le fait que nous voulons respecter pleinement le jugement. Si cela ne se produisait pas, cela ne ferait que prolonger le conflit et l'incertitude, et augmenterait les risques juridiques.

WSRW : Votre parti, les sociaux-démocrates suédois, est au gouvernement en Suède. Quelle est la position de votre gouvernement concernant les négociations commerciales en cours concernant le Sahara Occidental ? Quelles sont les conditions pour que votre gouvernement vote en faveur de cet accord ?
L'eurodéputée Guteland : Je crois qu'ils ont dit qu'ils voulaient respecter la loi. Il est essentiel que notre gouvernement respecte la loi. Nous verrons ce qui va se passer, ce n'est pas encore tout à fait clair, mais le gouvernement suédois veut que l'UE respecte la décision de la CJUE.

WSRW : Vous avez changé votre vote d'abstention à contre l'accord de l'aviation. À cet égard, n'est-il pas ironique que vous et d'autres eurodéputés aient été empêchés de quitter un avion juste après que le Parlement ait approuvé l'accord aérien ? Quel est l'intérêt d'inclure le Sahara Occidental dans la portée géographique de cet accord si les législateurs de l'UE eux-mêmes ne peuvent pas se rendre dans le territoire par avion ?
L'eurodéputée Guteland : C'est une bonne question. J'ai voulu changer mon vote, voter contre et non m'abstenir parce que la Commission ne répond pas aux questions. Je l'ai changé parce qu'il était clair que la Commission n'avait pas l'intention de clarifier la situation. Ils ne veulent pas nous expliquer comment l'accord de transport aérien peut être conforme à la décision de la CJUE. Oui, c'est vraiment ironique, je suis totalement d'accord.

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